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Interview

[Interview] Gaou, du Togo à Toronto

Mis à jour le 21 mars 2023

J’ai connu Carole via son excellent blog Les Gaous, elle n’a pas sa langue dans sa poche quand il s’agit de parler de l’immigration mais elle le fait toujours avec beaucoup d’humour. le Sénégal, puis le Togo, la France et enfin le Canada, « Gaou » n’en a pas fini de voir du pays et nous explique ses choix dans cette interview.

Mise à jour du 21 mars 2023 : Carole vit toujours au Canada.

1- Salut Carole, tu es une expat en série ! Le Togo, le Sénégal, la France puis maintenant le Canada. Est-ce que c’est facile de s’intégrer à trois continents aussi différents ?

Ma première (vraie) expatriation / immigration s’est faite du Togo vers le Sénégal. Chacun des 3 continents où j’ai eu la chance de vivre à ses particularités mais j’ai été confrontées aux mêmes difficultés à chaque fois.

S’adapter à une nouvelle langue, une nouvelle culture, une mentalité différente, un nouveau climat etc, ça prend un peu de temps et il faut l’accepter. S’expatrier c’est sortir de sa zone de confort pour se lancer vers l’inconnu; ce n’est jamais simple. Je ne dirais pas que c’est facile de s’intégrer; ça demande des efforts quelque soit l’endroit. Dans chacune de mes expatriations, les premiers mois ont été difficiles. J’étais toujours sur le point de remballer mes affaires pour rentrer chez moi. Mais je me suis accrochée. Il faut un optimisme et une persévérance à toute épreuve pour ne pas jeter l’éponge à la moindre difficulté.

2- Quel est ton continent de cœur ? Tu peux nous expliquer pourquoi ?

Mon continent de cœur c’est l’Afrique plus précisément l’Afrique de l’ouest pour la simple et bonne raison que c’est chez moi. C’est l’endroit où je me sens le mieux au monde. Nous serions très certainement là-bas si mon mari n’avait pas été contre l’idée d’y vivre maintenant. Nous avons pour projet d’y vivre à la retraite. Comme dit le grand philosophe Orelsan (on a les références qu’on mérite ) « Dans le fond je crois que la terre est ronde pour une seule bonne raison, après avoir fait le tour du monde, tout ce qu’on veut c’est être à la maison. »

3- Tu as d’abord immigré à Toronto, pourtant ce n’est pas ce que choisissent les francophones en général, tu peux nous expliquer ton choix ?

Dans la mesure où nous somme tous les deux bilingues, l’anglais n’était pas un problème. Pour être franche, nous avons longtemps hésité entre Toronto, Winnipeg, Montréal et Calgary. Nous avons fini par choisir Toronto parce que les possibilités d’emploi dans la banque notamment, nous semblaient plus intéressantes. De plus l’école commence l’année des 4 ans à Toronto; ça a été un point important pour nous car notre fille (qui avait 4 ans à l’époque) était déjà scolarisée en France et il était hors de question de la déscolariser. Pour finir Toronto était proche de Montréal où nous avons de la famille et des amis.

4- Quels sont les avantages et les inconvénients de Toronto selon toi ?

Toronto est une grande ville et elle reçoit beaucoup d’immigrants (50% de mémoire); il est plus facile de se fondre dans la masse; on est un immigrant parmi d’autres. Si on est bilingue on peut trouver un premier emploi (en centre d’appels) relativement vite. En revanche la concurrence y est rude. Si on n’a pas un bon anglais et beaucoup d’argent de côté (10 000 à 15 000 dollars minimum par personne selon moi) je déconseille cette ville.

5- Et le travail ? Pour ton mari et toi ?

J’ai trouvé un travail en 4 jours dans mon domaine avec un salaire et des conditions super intéressantes. Je ne pensais pas trouver un poste aussi bien du premier coup. Mon mari a aussi trouvé dans son domaine mais avec un niveau de responsabilité moindre qu’en France. Nous nous y retrouvions financièrement mais il s’ennuyait énormément dans son poste.

Nous pensions qu’une fois la fameuse expérience canadienne obtenue et le réseau étendu, tout irait pour le mieux. Mais il n’en est rien. Nous sommes au Canada depuis plus de deux ans et il n’a aucune proposition intéressante. Nous trouvons le milieu de la banque au Canada (son domaine) vraiment très fermé et étriqué. Ça été une très grosse déception; nous avions choisi Toronto car c’est censé être le cœur financier du Canada…

6- Et ta fille, comment trouve-t-elle le Canada ? Elle s’est bien habituée ?

Ma fille aime beaucoup le Canada. Ses premiers mois ont été très difficiles. Elle souffrait de l’éloignement familial et a été victime de harcèlement à l’école mais aujourd’hui tout va pour le mieux. Elle s’est habituée à la vie ici; elle a même adopté le vocabulaire (elle dit « ewww » au lieu de beurk par exemple) et les habitudes locales.

7- Question plus épineuse à présent, peux-tu nous parler du racisme en France et du racisme au Canada ? Comment l’as-tu vécu ? Peux-tu nous donner une anecdote ? (En France ou au Canada) Est-ce que tu penses que la France est plus raciste envers les immigrés que le Canada ? Pourquoi à ton avis ?

Ce n’est pas évident à expliquer en quelques mots mais je trouve que le racisme en France est beaucoup plus décomplexé et plus structurel qu’ici. Les phrases du style : « je n’aime pas les noirs mais …. » sont beaucoup plus fréquentes en France qu’ici. Je pense que cela est dû en partie au politiquement correct qui est de mise ici. Au Canada ce serait très mal vu d’être ouvertement raciste et quiconque s’y risquerait serait sévèrement puni. En France on peut avoir des propos racistes sans être vraiment inquiété.

J’ai été plusieurs fois refoulée par des employeurs qui étaient surpris que je sois « comme ça » (ce sont leurs mots) parce que mon nom sonne très français. Ils ne m’ont pas fait passer d’entretien et m’ont demandé de partir. L’un d’entre eux m’avait fait venir à Bordeaux depuis Paris quand même! Il y a aussi ce Monsieur qui s’est soudainement souvenu qu’il avait promis son appartement à son neveu en me voyant; 5mn plus tard mon mari l’a rappelé et il lui a confirmé que l’appartement était libre et qu’il pouvait visiter quand il voulait.

Je trouve aussi qu’en France on ne met pas assez l’accent sur les raisons historiques (esclavage, colonisation etc) qui expliquent la présence des minorités visibles et les contributions positives qu’elles apportent à la société.

De plus les médias en France véhiculent des clichés toxiques sur les minorités. Ici il y a une représentation plus positive des minorités dans les médias. Je ne dis pas qu’il n’y a pas de racisme au Canada hein; il est moins pesant au quotidien et n’est pas structurel comme en France. Le Canada célèbre la diversité avec des évènements comme le mois de l’histoire des noirs ; le pays fait des statistiques ethniques et pratique la discrimination positive. Ce sont certes des mesures controversées mais on voit bien que l’approche est différente ici.
En France on aurait plutôt tendance à vouloir gommer tout ce qui est diffèrent de la «souche» ; la fameuse intégration qui des siècles plus tard n’a toujours pas fait ses preuves…

8- Changement de décor et de langue, tu vis désormais à Montréal ! Peux-tu nous expliquer ton choix ?

Je suis venue à Montréal parce que j’y ai trouvé un super emploi. Le genre d’opportunité qui ne court pas les rues et qu’il est difficile de refuser.

9- Quels sont les avantages et inconvénients de la ville ?

Montréal est une ville qui offre une certaine douceur de vivre. Le choc culturel est moindre dans la mesure où on y parle Français. L’anglais reste requis pour beaucoup de postes ici. Je ne parle pas du tout français au bureau. Ceux qui ne peuvent pas vivre sans pain et sans fromage en trouveront ici. En revanche c’est une petite ville, les opportunités d’emploi y sont moins nombreuses qu’à Toronto car le marché est plus petit. Les sièges des grosses entreprises sont à Toronto pour la plupart. Je pense que c’est une ville dont on fait rapidement le tour. En tant que Français à Montréal, il faut aussi être préparé à supporter des « blagues » répétitives et bourrées de clichés sur les « maudits » Français. Je ne suis là que depuis 6 mois mais ça me gonfle déjà.
Je trouve l’intégration au monde professionnel encore plus difficile à Montréal qu’à Toronto. On a demandé à mon mari de fournir les évaluations comparatives de ses diplômes pour de simples (premiers) entretiens ! Ses expériences hors Québec (même celle eue en Ontario) ne sont pas prises en compte. La recherche d’emploi est un vrai parcours du combattant. Il a pourtant un réseau bien développé à Montréal.

10- Tu préfères plutôt Toronto ou Montréal ?

Je préfère de loin Toronto; j’adore mon travail, j’ai une vie bien sociale bien remplie mais je n’aime pas trop Montréal.

11- Tu es connue pour ton franc-parler sur le net, est-ce que ça t’a déjà attiré des ennuis ? (Haters, trolls etc.)

Connue c’est bien grand mot 🙂 J’ai déjà eu des haters et des trolls (souvent des gens qui sont expert du Canada parce qu’ils ont passé 8 jours à Chicoutimi) mais je n’y prête pas plus attention que ça. Chacun son expérience; de plus je ne force personne à suivre mon blog. Ceux qui ne sont pas contents peuvent sauter et caler en l’air comme on dit chez moi.
Non plus sérieusement, j’ai quand même beaucoup de retours positifs. Les gens me disent souvent que mon blog permet de voir l’immigration sous un autre angle.
12- Est-ce que tu te vois un jour partir du Canada ? Si oui, où irais tu ?
Je ne me vois pas du tout rester au Canada. Je ne survivrai éternellement pas au Windchill. Je ne sais pas trop encore où je vais atterrir ni quand je partirai tout dépendra des opportunités que mon époux et moi aurons le moment venu.

13- Le Canada, c’est l’eldorado selon toi ? Que dis-tu à tes amis qui rêvent d’y immigrer ?

Le Canada est sans doute l’eldorado des écureuils et des orignaux mais pour les êtres humains ça reste un pays avec ses avantages et ses inconvénients. Le tout c’est de savoir si on s’y retrouve.
Mes amis ne rêvent pas d’immigrer au Canada mais si c’était le cas je leur dirais de bien y réfléchir, de venir préparés et d’envisager l’éventualité que ça ne leur plaise pas.

L'auteur(e)

Arrivée au Canada en 2010 avec une RP en poche, Lisa a vécu 3 ans à Toronto et vit depuis 2014 à Calgary. Elle est devenue canadienne en 2015 juste avant la naissance de son fils, un petit franco-canadien. Elle est désormais freelance à plein temps et maman de deux enfants.

1 Comment

  • Evelyne
    17 février 2016 at 6:45 pm

    Super de lire Carol ici. Je lis son blog depuis sa création et j’aime son approche honnête et franche. J’y ai découvert beaucoup de choses sur l’Afrique, un continent que je connais très mal et aussi sur la France que je connais plutôt bien.
    Merci pour cette interview.

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